Sous-traitant agréé : attention à l’envoi par mail des factures 

CAA Bordeaux, 23-07-2025, 25BX00714 , Syndicat mixte Périgord Numérique

Dans cet arrêt, la cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle le formalisme et donc la sévérité du droit qui encadre le paiement direct du sous-traitant agréé. Ce dernier ne peut pas se contenter de transmettre, par mail, ses factures à l’entrepreneur principal. En cas de ce contentieux, provoqué par exemple par la liquidation judiciaire de l’entrepreneur principal, le sous-traitant agréé ne pourra pas invoquer cet envoi par mail de ses factures pour obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues par le maître de l’ouvrage. L’état du droit est donc sévère pour le sous-traitant. 

Dans ce dossier, le syndicat mixte ouvert Périgord Numérique (département de la Dordogne) a passé un accord-cadre de travaux relatif au déploiement de réseaux publics de type FttX. Le lot n° 5 du marché a été attribué à un groupement d’opérateurs dont faisait partie notamment la société Scopelec Aquitaine, agissant comme mandataire de ce groupement. La société Smartyk Sud-Ouest a été présentée au syndicat mixte en qualité de sous-traitant de la société Scopelec Aquitaine. Le syndicat a accepté ce sous-traitant et a agréé ses conditions de paiement pour des prestations d’études FttH pour un montant total de 200 000 euros hors taxes (HT). La société Scopelec Aquitaine a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du 4 janvier 2023 et la société Smartyk Sud-Ouest a procédé, le 8 mars 2023, à une déclaration de sa créance auprès du liquidateur pour un montant total de 173 860,52 euros toutes taxes comprises (TTC) correspondant aux prestations réalisées en sa qualité de sous-traitante. Par une lettre du 29 mai 2024, le syndicat a refusé de régler cette somme à la société Smartyk Sud-Ouest. Par une ordonnance du 6 mars 2025, dont tant le syndicat Périgord Numérique que la société Smartyk Sud-Ouest relèvent appel, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a condamné le syndicat mixte à verser à la société Smartyk Sud-Ouest une indemnité provisionnelle de 51 251 euros TTC. 

Pour soutenir qu’il ne devait pas procéder au paiement des sommes dues au sous-traitant agréé, le syndicat mixte soulevait un argument fort : il prétendait ainsi que la société Smartyk avait transmis à la société Scopelec Aquitaine ses factures par des courriers électroniques. Or, un tel envoi par mail des factures ne respectait pas les exigences de l’article R. 2193-11 du code de la commande publique privant, ainsi, la société traitante de la possibilité d’exiger du maitre d’ouvrage le paiement des factures. 

Pour comprendre la portée de l’arrêt rendu par la CAA de Bordeaux, il convient de rappeler que la procédure de paiement direct du sous-traitant est strictement encadrée par le code de la commande publique. Pour obtenir le paiement direct de ses factures, le sous-traitant doit, ainsi, en premier lieu, adresser ses factures au titulaire du marché. Et l’article R. 2193-11 du code de la commande publique précise que le sous-traitant doit le faire « par tout moyen permettant d’en assurer la réception et d’en déterminer la date, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé ». En application de l’article R. 2193 -12 du code de la commande publique, le titulaire dispose, alors, d’un délai de 15 jours « à compter de la date de réception ou du récépissé » pour donner son accord ou notifier son refus au sous-traitant et à l’acheteur. Enfin, l’article R 2193-14 poursuit en indiquant que « lorsque le sous-traitant a obtenu la preuve ou le récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande de paiement dans les conditions fixées à l’article R. 2193-11 ou qu’il dispose de l’avis postal attestant que le pli a été refusé ou n’a pas été réclamé par le titulaire, le sous-traitant adresse sa demande de paiement à l’acheteur accompagnée de cette preuve, du récépissé ou de l’avis postal".

Pour obtenir le paiement direct des prestations qu’il a exécutées, le sous-traitant agréé doit donc, tout d’abord, adresser ses factures à l’entrepreneur principal. Ce dernier dispose, alors, d’un délai de 15 jours pour donner son accord sur ces factures, tout en sachant que son silence équivaut à une acceptation. A l’issue de cette première étape, s’ouvre donc une seconde étape qui fait intervenir le maître d’ouvrage. Ce dernier procède au paiement direct du sous-traitant régulièrement agréé s’il est établi que le sous-traitant a transmis à l’entrepreneur principal sa facture et que ce dernier ne s’est pas opposé au paiement de cette facture dans un délai de 15 jours. Cette procédure a pour objet de permettre au titulaire du marché d’exercer un contrôle sur les pièces transmises par le sous-traitant et de s’opposer, le cas échéant, au paiement direct. 

La cour rappelle que « la méconnaissance par le sous-traitant (de cette procédure) fait ainsi obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir, auprès du maître d’ouvrage, d’un droit au paiement direct ».

Dans ce dossier, il était établi que le sous-traitant avait transmis à l’entrepreneur principal des factures par mail à hauteur de 51.251 euros TTC. Pour le reste des factures invoquées par le sous-traitant (soit 122.609,52 euros TTC), il était également admis que le sous-traitant ne les avait pas transmises à l’entrepreneur principal. 

Cette situation avait conduit le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a accordé au sous-traitant une provision de 51.251 € TTC (montant correspondant au montant TTC des factures transmises par mail). En appel, le syndicat soutenait que l’envoi par mail des factures n’est pas suffisant pour démonter le respect par le sous-traitant de la procédure de paiement direct dès lors que l’article R. 2193-11 du code de la commande publique impose un envoi « par tout moyen permettant d’en assurer la réception et d’en déterminer la date, ou la dépose auprès du titulaire contre récépissé ». En d’autres termes, la question posée à la cour était la suivante : un envoi par mail permet-il de démontrer que l’entrepreneur principal a bien reçu les factures litigieuses. 

Et, la cour va adopter (sans surprise ?) une lecture stricte de ce texte. En reprenant la position du syndicat mixte, la cour va, ainsi, considérer que « ces simples courriels sans accusé de réception ne peuvent être regardés comme ayant permis d’assurer la réception des demandes de paiement et d’en déterminer la date, pour l’application de l’article R. 2193-11 du code de la commande publique ». Et la cour va plus loin dans son raisonnement puisqu’elle estime que le sous-traitant ne peut pas surmonter cette première difficulté en adressant directement sa facture au maître de l’ouvrage qui a, pourtant, agréé ses conditions d’intervention. La cour indique, en effet, que « la demande de paiement adressée le 20 février 2024 au syndicat Périgord Numérique n’était pas accompagnée de la preuve attestant que le titulaire avait bien reçu les demandes de paiement dans les conditions fixées à l’article R. 2193-11 du code de la commande publique ». La cour en arrive à la conclusion que « faute d’avoir respecté les conditions fixées à l’article R. 2193-11, le sous-traitant ne peut se prévaloir d’un droit au paiement direct auprès du syndicat mixte ». 

La cour censure donc le raisonnement retenu par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux et refuse donc tout droit au paiement direct au sous-traitant. 

On voit donc l’importance pour le sous-traitant de respecter strictement le formalisme de la procédure de paiement direct fixée par le code de la commande publique sous peine de se retrouver privé de toute rémunération pour une prestation pourtant bien réalisée. Nous rappellerons que dans ce dossier l’entrepreneur principal est en liquidation judiciaire, ce qui prive le recours contre ce dernier de tout intérêt opérationnel. Et ce formalisme, souvent peu respecté dans les faits, commande au sous-traitant de transmettre ses factures à l’entrepreneur principal par un moyen permettant « d’en assurer la réception ou d’en déterminer la date ». Un envoi par mail des factures sans accusé de réception de l’entrepreneur ne permet pas de respecter ce formalisme. Et surtout, cette « erreur initiale » ne pourra pas, par la suite, être régularisée par l’envoi des factures au maître de l’ouvrage. Il est donc vivement conseillé aux sous-traitants admis au paiement direct d’obtenir un AR de l’entrepreneur principal lors de l’envoi des factures par mail. 

Ce qu'il faut retenir

1.
L’envoi par le sous-traitant de ses factures par mail à l’entrepreneur principal sans obtenir un accusé de réception méconnaît le formalisme imposé par le code de la commande publique ; 
2.
En l’absence d’accusé de réception de l’entrepreneur principal, le sous-traitant agréé ne peut pas régulariser la situation en transmettant directement ses factures à la collectivité ; 
3.
- La collectivité peut « utiliser » cette absence d’accusé de réception des factures par l’entrepreneur principal pour refuser de payer les factures du sous-traitant. 

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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