Le fait qu’un salarié de la société attributaire ait été employé par l’acheteur public ne suffit pas à établir un manquement au principe d’impartialité

Conseil d'Etat , 23-05-2025, 500255 , Economat des Armées

La régularité des procédures de passation des marchés publics repose sur le strict respect des principes fondamentaux de la commande publique, au premier rang desquels figurent l’impartialité et l’égalité de traitement des candidats. La décision rendue par le Conseil d’État le 23 mai 2025 offre une illustration éclairante de la manière dont ces principes doivent être interprétés et articulés face à des situations potentiellement sensibles. 

L’Economat des Armées (établissement public à caractère industriel et commercial au service des forces armées) a été chargé de mettre à disposition des personnels du ministère des armées et de leurs familles un accès permanent à un Wifi gratuit. L’économat a, alors, conclu avec la société Wifirst en 2018 un accord-cadre incluant la mise en place des infrastructures et la fourniture du service, pour une durée de cinq ans. L’Economat des armées a lancé une procédure de renouvellement de ce marché en janvier 2023. Cependant, cette procédure a été déclarée sans suite en juin 2023 du fait de la divulgation accidentelle, par l’Economat, de données commerciales confidentielles de l’attributaire sortant. Un document comprenant le détail des tarifs pratiqués par la société Wifirst avait en effet été mis en ligne parmi les documents de la consultation. Afin d’assurer la continuité du service, l’accord-cadre a alors été prolongé d’un an. Un an plus tard, en avril 2024, l’Economat a lancé une nouvelle procédure de renouvellement du marché, dit ILOSCA 2024 divisé en trois lots. La société Wifirst c’est-à-dire l’attributaire sortant, et la société Passman ont chacune présenté une candidature et ont été admises à présenter une offre pour les trois lots. La société Wifirst a remporté le lot n°3, tandis que les offres de la société Passman ont été retenues s’agissant des lots n°1 et n°2. 

C’est dans ce contexte que la société Wifirst a demandé au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Montreuil, d’annuler la procédure de passation s’agissant des lots n°1 et n°2 Par une ordonnance rendue le 19 décembre 2024, le juge des référés a fait droit à cette demande et a annulé la procédure de passation en ce qui concerne les deux lots en considérant que les principes d’impartialité et d’égalité de traitement n’avaient pas été respectés puisqu’un salarié de la société Passman avait précédemment été employé par l’Economat des armées. L’Economat ainsi que la société Passman se sont pourvus en cassation contre cette ordonnance. 

Par sa décision du 23 mai 2025, le Conseil d’État a annulé l’ordonnance litigieuse pour erreur de droit, au visa des articles L. 3 et L. 2141-8 du code de la commande publique. Le Conseil d’État a jugé que chacun des deux motifs retenus par le juge des référés sont erronés pour cause d’erreurs de droit. 

En ce qui concerne le premier motif retenu, à savoir le manquement aux principes d’impartialité et d’égalité de traitement en raison de la circonstance qu’un salarié de la société Passman avait précédemment été employé par l’Economat des armées, le Conseil d’Etat distingue ici la question du manquement au principe d’impartialité, de celle du manquement au principe d’égalité entre les candidats. Le Conseil d’Etat s’inspire ici, comme le souligne le rapporteur public Labrune, de la solution retenue dans la décision « Syndicat mixte des ordures ménagères de la vallée de Chevreuse » du 12 septembre 2018 (n° 420454, 420512). Les faits se rapportant à cette décision sont relativement similaires à ceux de la décision commentée : le chef de projet au sein d'une société à laquelle a été confiée une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage en avril 2017 par une personne publique, a rejoint en décembre 2017, préalablement à la remise des offres, la société désignée attributaire n° 1 du marché correspondant. Dans cette affaire, le rapporteur public et le Conseil d’Etat effectuent alors une distinction claire entre la question du manquement à l’obligation d’impartialité et celle du manquement à l’obligation de traitement entre les candidats, le rapporteur public faisant même état d’une « confusion » du juge des référés entre ces deux notions.

Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat rappelle donc que « la seule circonstance qu'un salarié d'une société candidate ait été employé par l'acheteur est, par elle-même, insusceptible d'affecter l'impartialité de ce dernier. ». Cette solution repose sur un postulat qui peut paraître un peu naïf pour certains à savoir que l'acheteur public est « par nature » neutre vis à vis des candidats à l'obtention du marché, c'est à dire qu'il n'a aucun intérêt à privilégier l'un d'eux. 

La haute juridiction administrative poursuit en jugeant que « en se fondant sur la seule " présence dans les effectifs de la société Passman, d'un salarié de la société issu de l'Economat ", sans rechercher si ce salarié avait, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique, eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats par sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, le juge des référés a commis une erreur de droit. ». Sur ce dernier point, le rapporteur public ayant conclu sur cette affaire souligne que ce n’est que si le salarié anciennement employé par l’acheteur public « a eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats par sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, que cette circonstance est de nature à constituer une atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats ». Il est ainsi nécessaire de rechercher si le salarié en question avait « effectivement pu avantager son employeur par rapport aux autres candidats du fait de sa participation préalable à la préparation de la procédure de passation » selon le rapporteur public. 

Jugeant sur le fond le dossier, le Conseil d’Etat va rejeter le motif d’annulation retenu par le juge des référés en estimant que la société Wifirst n’apporte aucun élément autre que le fait qu’un salarié de la société Passman avait précédemment été employé par l’Economat des armées pour démontrer une distorsion de concurrence. Pour asseoir sa position, le Conseil d’Etat considère que ce salarié, bien qu’ayant siégé au conseil d’administration de l’Economat jusqu’en mars 2023, n’avait pas participé à ses travaux depuis février 2022. De plus, toujours selon le Conseil d’Etat, les missions de conseil qu’il exerçait ne lui donnaient pas accès à des informations sensibles sur le marché. 

Ce qu'il faut retenir

1.
Le fait qu’un salarié de la société attributaire ait été employé par l’acheteur public ne suffit pas à établir un manquement au principe d’impartialité
2.
La violation du principe d’égalité de traitement exige la preuve d’un accès à des informations susceptibles de fausser la concurrence

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


Rechercher des articles dans la même thématique :