Le sous-traitant ne peut voir son droit au paiement direct réduit en fonction de la qualité des prestations réalisées en exécution du contrat de sous-traitance
Par un arrêt du 19 mai 2022, la Cour administrative d’appel de Versailles réforme le jugement du Tribunal administratif de Versailles et juge que l’acte spécial qui constate l’acceptation, par le maître d’ouvrage, des conditions de paiement du sous-traitant, ne peut être modifié par le maître d’ouvrage et l’entrepreneur principal pour tenir compte de la qualité de l’exécution des prestations réalisées par le sous-traitant.
En l’espèce, le maître d’ouvrage et l’entrepreneur principal ont conclu un marché public de travaux. Par acte spécial du 23 janvier 2013, l’entrepreneur a confié à la société Maugin la fabrication de menuiseries, pour un montant de 176 024,98 euros TTC devant lui être réglé par paiement direct du maître d’ouvrage. Par acte spécial modificatif du 14 janvier 2014, l’entrepreneur et le maître d’ouvrage ont réduit le montant des sommes à verser à 135 537,68 euros TTC, en conséquence de certaines moins-values mises à la charge de la société Maugin. Par courrier du 9 avril 2014, cette dernière a transmis à l’entrepreneur une demande de paiement pour la somme de 27 615,99 euros TTC. Sans réponse, elle a sollicité le paiement de la somme auprès du maître d’ouvrage, qui a rejeté sa demande. Par un jugement du 11 février 2019, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de la société Maugin tendant à la condamnation du maître d’ouvrage à lui verser cette même somme.
Afin de savoir si la société Maugin a droit au paiement direct des prestations qu’elle a réalisées par le maître d’ouvrage, la Cour administrative d’appel doit d’abord déterminer si celle-ci a qualité de sous-traitante.
La loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, qui reconnaît au sous-traitant le droit au paiement direct des prestations qu’il a réalisées dans le cadre du marché principal par le maître d’ouvrage. Son champ d’application est circonscrit par l’article 1er de la loi qui définit la sous-traitance comme « l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ».
Dans ce cadre, une entreprise ne peut être qualifiée de sous-traitante que si elle a conclu un contrat d’entreprise avec l’entrepreneur principal.
La Cour administrative d’appel de Versailles rappelle donc qu’« une entreprise dont le contrat conclu avec l'entrepreneur principal n'a pas les caractéristiques d'un contrat d'entreprise mais d'un simple contrat de fournitures n'a pas droit au paiement direct de ses fournitures par le maître d'ouvrage, en dépit du fait qu'elle a été acceptée par ce dernier en qualité de sous-traitante et que ses conditions de paiement ont été agréées. »
Le contrôle du juge ne se limite donc pas à la qualification que le maître d’ouvrage a attribué, il vérifie matériellement que les conditions de définition de la sous-traitance sont bien réunies.
En l’espèce, le juge administratif considère que la société Maugin, en fournissant « un ensemble de menuiseries en verre et aluminium répondant à des spécificités techniques précises, en terme de dimensions, de couleurs et d'accessoires, conformément au cahier des clauses techniques particulières applicable au marché de travaux en cause, et qui ont dû être fabriquées sur mesure, afin de répondre aux sept différentes dimensions des ouvertures de bâtiments à réhabiliter », est liée à l’entrepreneur principal par un contrat d’entreprise.
Elle peut donc bénéficier du paiement direct par le maître d’ouvrage des prestations qu’elle a réalisées.
Dès lors, puisque la société Maugin a la qualité de sous-traitante, le maître d’ouvrage et l’entrepreneur principal ne pouvaient modifier l’acte spécial afin de réduire son droit au paiement direct.
La cour administrative d’appel rappelle, en vertu d’une jurisprudence adoptée par le Conseil d’État , qu’ « il résulte des dispositions combinées de l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 , […] et de l'article 114 du code des marchés publics alors en vigueur, qu'en l'absence de modification des stipulations du contrat de sous-traitance relatives au volume des prestations du marché dont le sous-traitant assure l'exécution ou à leur montant, le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal ne peuvent, par un acte spécial modificatif, réduire le droit au paiement direct du sous-traitant dans le but de tenir compte des conditions dans lesquelles les prestations sous-traitées ont été exécutées. »
Lorsque la demande de sous-traitance est présentée après le dépôt de l’offre, le titulaire doit remettre au maître d’ouvrage une déclaration indiquant « le montant maximum des sommes à verser par paiement direct au sous-traitant ». Dans ce cas, « l'acceptation du sous-traitant et l'agrément des conditions de paiement sont alors constatés par un acte spécial signé des deux parties » .
Cet acte spécial est un acte contractuel liant le maître d’ouvrage à l’entrepreneur principal, qui confère à un tiers, le sous-traitant, le droit d’être payé directement par le maître d’ouvrage pour les prestations qu’il a effectuées pour l’exécution du marché en exécution du contrat d’entreprise qu’il a passé avec le titulaire du marché. L’acte spécial est, de ce fait, le reflet du contrat de sous-traitance puisqu’ils définissent tous deux les obligations qui ouvrent droit au paiement direct par le maître d’ouvrage.
En application de ce raisonnement, le juge administratif considère qu’il faut distinguer la délimitation des obligations ouvrant droit au paiement direct pour le sous-traitant, et conditions d’exécution de ces obligations.
Ainsi, en cas de prestations supplémentaires, il y aura modification de l’acte spécial lorsque le contrat de sous-traitance aura lui aussi été modifié.
Toutefois, en cas de difficultés d’exécution des prestations initialement prévues, l’acte spécial ne peut être modifié puisque le contrat de sous-traitance initial n’a pas été modifié. Dans ce cas, le juge considère qu’il vaut mieux que ces difficultés « se règlent en fin de contrat, lors de l’établissement du décompte et des sommes dues au sous-traitant. C’est alors qu’il appartiendra au titulaire de faire valoir auprès du maître d’ouvrage qu’il ne doit pas payer directement des prestations non exécutées » .
De ce fait, le maître d’ouvrage et l’entrepreneur principal peuvent modifier l’acte spécial uniquement si cette modification porte sur le volume et la valeur des prestations réalisées par le sous-traitant, et non sur la qualité d’exécution des prestations initialement prévues dans le contrat de sous-traitance.
Enfin, même dans l’hypothèse où le sous-traitant accepterait une réduction de son droit au paiement direct, le juge se réserve, en vertu du caractère d’ordre public de l’article 6 de la loi de 1975, le pouvoir de contrôler que l’acte spécial a uniquement été modifié pour tenir compte d’une modification des prestations sous-traitées, et non des conditions d’exécution de celles-ci.
En l’espèce, le maître d’ouvrage devait donc verser la somme de 27 615,99 euros TTC à l’entreprise sous-traitante, l’acte spécial modificatif n’étant pas opposable à cette dernière.