Cet arrêt rappelle avec cruauté aux prestataires qu’à l’issue du rejet de leur réclamation, ils doivent impérativement saisir le tribunal administratif dans les délais prévus par les CCAG sous peine de voir leur recours contentieux irrecevable, et ce même s’ils ont entamé des pourparlers avec l’acheteur. Le prestataire qui entre en voie de négociation, à l’issue du dépôt de sa réclamation, ne doit donc pas « oublier » que cette négociation n’interrompt pas ou ne suspend pas les délais prévus par les CCAG et qu’il doit poursuivre cette négociation en déposant tout de même son recours contentieux pour préserver ses droits. Tel est le principal intérêt de cet arrêt.
Dans ce dossier, la commune de Mouvaux (département du Nord) a engagé en 2012 une opération de construction d'un espace culturel. Le lot n° 5 " chauffage ventilation - plomberie " a été attribué à la société Delannoy Dewailly Entreprise. Celle-ci a établi son projet de décompte final en y incluant notamment des travaux supplémentaires et une demande indemnitaire en raison de retards de chantier, qu'elle a transmis au maître d'œuvre par un courrier du 16 octobre 2017. Par un courrier du 21 décembre 2017, la commune de Mouvaux a notifié le décompte général à la société Delannoy Dewailly Entreprise en lui faisant part de son refus d'accepter le projet de décompte préparé par la société. La société Delannoy Dewailly Entreprise a contesté cette décision en présentant un mémoire en réclamation le 6 février 2018. La commune de Mouvaux n'avait donné aucune suite à ce mémoire, la société Delannoy Dewailly Entreprise a saisi le tribunal administratif de Lille le 17 octobre 2018 d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Mouvaux à lui verser, à titre principal, la somme de 138 387,13 euros hors taxes et, à titre subsidiaire, la somme de 72 402,49 euros hors taxes, en règlement du solde du marché relatif au lot n° 5. Par un jugement du 13 juin 2023, dont la société Delannoy Dewailly Entreprise relève appel, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande comme tardive. Il sera précisé qu’entre le dépôt du mémoire en réclamation (le 6 février 2018) et la saisine du tribunal administratif (le 17 octobre 2018), la commune de Mouvaux a adressé à la société des deux courriers le 12 avril et le 14 juin 2018 afin de lui proposer d’entrer en voie de négociation. La négociation n’ayant pas abouti, la société Dewailly a donc saisi le tribunal administratif d’une demande d’expertise judiciaire et d’une requête au fond.
Pour déterminer si la requête déposée par la société Dewailly est ou non tardive, la cour administrative d’appel de Douai, tout comme le tribunal administratif de Lille, vont adopter une lecture littérale des stipulations du CCAG-Travaux. La cour rappelle, ainsi, que les règles de saisine du tribunal administratif qui découlent des CCAG, qui sont, on le rappelle, de nature contractuelle, constituent des « règles particulières de saisine du juge du contrat ». Or ainsi que le rappelle la cour « ces stipulations ne prévoient aucune cause d'interruption du délai (de saisine du tribunal administratif) ni d'autres cas de suspension que la saisine du comité consultatif de règlement amiable ».
Appliquant à la lettre ces principes, la cour va ainsi considérer que la réclamation de la société a été reçue le 9 février 2018. La commune de Mouvaux n'ayant pas donné de suite expresse à cette réclamation, une décision implicite de rejet est née quarante-cinq jours plus tard, soit le 24 mars 2018. Toujours en adoptant une lecture littérale des stipulations du CCAG-Travaux, la cour en arrive à la conclusion que « le délai de recours contentieux de six mois a commencé à courir à compter de cette date sans être interrompu ou suspendu, contrairement à ce que soutient la société requérante, par une invitation à transiger ou un paiement partiel effectué par la commune ».
L’engagement de pourparlers transactionnels et le paiement par la commune d’une partie de la réclamation n’a donc aucun impact sur le délai de six mois prévu par le CCAG – Travaux pour la saisine, sous peine de forclusion du tribunal administratif. De plus, la cour prend le soin de rappeler que la commune n’était pas tenue de rappeler à la société requérante dans les différents courriers échangés l’existence de ce délai de six mois pour saisir le juge. Selon la juridiction, ce délai de saisine du juge administratif découle de stipulations contractuelles « lesquelles ne prévoient aucune obligation pour le maître de l'ouvrage d'informer le titulaire du marché de ces voies et délais de recours ». La cour rappelle, ainsi, que le droit commun qui impose à un acheteur public d’indiquer les voies et délais de recours à un administré ne trouve pas à s’appliquer aux hypothèses dans lesquelles ce délai de saisine du juge est défini dans un contrat.
La cour en arrive à la conclusion que la demande de la société Dewailly, enregistrée le 17 octobre 2018 au greffe du tribunal administratif de Lille, postérieurement à l'expiration du délai de recours de six mois, était tardive et donc irrecevable. La cour confirme donc le jugement du tribunal administratif en rejetant, pour irrecevabilité, la requête présentée par la société Dewailly.
Cet arrêt rappelle donc aux prestataires la prudence qu’ils doivent adopter lorsqu’ils lancent des pourparlers à la suite du dépôt d’une réclamation. Ces pourparlers, même s’ils s’avèrent en partie fructueux, n’ont aucun impact sur les délais fixés par les CCAG pour saisir le juge administratif. Seule la saisine des comités consultatifs de règlement amiable des différends relatifs aux marchés (CCIRA) permet de suspendre les délais de saisine des juridictions administratives. Pour préserver ses intérêts, le prestataire devra donc en cours de négociation rappeler à l’acheteur qu’il se trouve dans l’obligation de saisir le juge administratif.