Les fautes du titulaire qui ne sont pas assez graves pour justifier une résiliation pour faute peuvent être prises en compte pour amoindrir sa demande indemnitaire

CAA Toulouse, 04-03-2025, 23TL00143 , Région Occitanie

Les contentieux qui suivent une résiliation pour faute sont classiques et portent, le plus souvent, sur deux aspects. Les juges ont, ainsi, d’une part à connaître de l’existence et de la matérialité de la faute grave invoquée par la collectivité pour justifier la décision de résiliation et d’autre part des conséquences indemnitaires qu’engendre une telle mesure de résiliation. L’intérêt de cet arrêt est d’aborder l’hypothèse où le prestataire a commis en cours d’exécution de son marché des fautes contractuelles mais qui ne présentent pas, du moins pour le juge, une gravité suffisante pour justifier une résiliation pour faute du marché. Dans cette hypothèse, le juge administratif considère, sans surprise, que la résiliation pour faute prononcée par la collectivité est « abusive » et que le prestataire a le droit d’être indemnisé en conséquence. Toutefois, et c’est l’intérêt de cet arrêt, dans cette hypothèse, l’indemnité qui va être octroyée au prestataire victime donc d’une résiliation injustifiée doit être diminuée de « sa part de responsabilité dans la survenance de la résiliation ». Les fautes du titulaire ne sont pas suffisamment graves pour justifier une résiliation pour faute, mais, pour la cour administrative dans la décision commentée, elles doivent être prises en compte pour calculer le montant de l’indemnité à allouer au prestataire en vérifiant si ces fautes ont ou non contribué « à la survenance de la résiliation pour faute ».

La cour résume sa position en indiquant que « les fautes commises par le cocontractant de la personne publique dans l'exécution du contrat sont susceptibles, alors même qu'elles ne seraient pas d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat aux torts du titulaire, de limiter en partie son droit à l'indemnisation du préjudice qu'il subit du fait de cette résiliation irrégulière » (point 17 de l’arrêt). 

Dans ce dossier, la région Occitanie avait lancé, en 2020, un appel public à la concurrence en vue de conclure un marché de prestations de services portant sur l'exécution du service public des transports scolaires au sein du département des Pyrénées-Orientales. Deux lots de ce marché ont, ainsi, été attribués à la société Vectalia Transport Interurbain. La région Occitanie a, toutefois, prononcé la résiliation du marché aux torts exclusifs de la société Vectalia Transport Interurbain en se fondant sur les circonstances selon lesquelles, premièrement, sur les 19 conducteurs hispanophones accompagnés ou rencontrés par ses services lors de la matinée de la rentrée scolaire du 1er septembre 2020, un seul était francophone, trois avaient des notions approximatives en français et, enfin, quinze autres ne parlaient pas le français, deuxièmement, aucun des référents chargés d'échanger avec les passagers n'était présent à bord des autocars conduits lors de cette matinée par des conducteurs non francophones, troisièmement, les référents présents lors du service de l'après-midi disposaient d'un faible niveau de maîtrise de l'espagnol de sorte que la sécurité du jeune public transporté n'était pas assurée et, enfin, quatrièmement, ses services ont constaté plusieurs manquements ou situations délicates susceptibles de porter atteinte à la sécurité des usagers liés au manque de maîtrise de la langue française.

Le tribunal et la cour vont, toutefois, considérer que les manquements invoqués par la Région Occitanie ne sont pas suffisamment graves pour justifier une mesure de résiliation pour faute. Pour aboutir à cette conclusion, la cour va estimer que la société titulaire du marché disposait d’une « marge de manœuvre » assez limitée pour le recrutement des conducteurs de bus affectés à l’exécution de ce marché. La cour juge, ainsi, que la société titulaire du marché « ne pouvait raisonnablement pas procéder à l'ensemble des recrutements requis pour exécuter le marché sans disposer, au préalable, de la liste des personnels qu'elle avait l'obligation légale de reprendre ». Ne disposant de la liste des personnels à reprendre, elle a donc eu recours à du personnel espagnol puisqu’elle a été confrontée « à une pénurie de main d'œuvre sur le marché du travail français laquelle est établie par les éléments versés au dossier et n'est pas sérieusement contestée par le pouvoir adjudicateur ». La cour poursuit en indiquant qu’eu « égard à la nature des incidents d'exploitation, lesquels se sont limités à quelques services (…) et n'ont donné lieu à aucune difficulté majeure dans l'exécution du transport scolaire afférent au secteur du Conflent, à la circonstance qu'ils n'ont été relevés que dans le cadre d'une seule journée d'exécution du contrat, et à la réactivité de la société Vectalia Transport Interurbain pour échanger avec le pouvoir adjudicateur et répondre à ses attentes », la mesure de résiliation pour faute n’est pas justifiée. 

La cour considère, toutefois, que les manquements contractuels de la société titulaire du marché qui ne sont donc pas suffisamment graves pour légitimer une résiliation pour faute, justifient une diminution de 5% de l’indemnité qu’il convient de lui allouer. Selon la cour, « le tribunal a fait une juste appréciation de la part de responsabilité de cette dernière société, dans la survenance de la résiliation du marché en litige, en la fixant à 5 % ». 

Le volet indemnitaire du dossier est également intéressant. Concernant les dépenses utiles engagées par la société titulaire du marché et victime donc d’une résiliation pour faute injustifiée, la cour rejette l’ensemble des demandes présentées pour défaut de démonstration de la réalité du préjudice ou absence de lien de causalité (vente à perte de véhicules acquis pour les besoins du marché et dépréciation de la flotte restante ; coûts salariaux exposés pour le recrutement et le licenciement de personnel pour les besoins du marché). Cela démontre l’absolue nécessité pour le requérant qui souhaite être indemnisé pour les dépenses utiles engagées pour l’exécution du marché de disposer d’un « dossier indemnitaire solide ». Et le contrôle du juge est, sur ce point, poussé, surtout lorsqu’il ne peut pas s’appuyer, comme en l’espèce, sur une expertise judiciaire de nature financière.

Concernant le manque à gagner subi par la société titulaire du marché, la cour sanctionne la position du tribunal qui, par facilité, a calculé ledit manque à gagner en appliquant au chiffre d’affaires non réalisé un pourcentage de 5%. Or, ce pourcentage de 5% est prévue par les CCAG en cas de résiliation pour motif d’intérêt général. Logiquement, la cour va donc juger que « c’est à tort que le tribunal a condamné la région Occitanie à verser à la société Vectalia Transport Interurbain l'indemnité forfaitaire prévue par les CCAG, lesquelles ne s'appliquent qu'en cas de résiliation pour motif d'intérêt général ». Pour calculer, la marge nette qu’aurait réalisée la requérante, la cour va appliquer au montant du marché résilié (19 307 329), le taux de marge nette moyen réalisé par cette société pour des prestations de même nature (1.93% avant impôts sur les sociétés). Après prise en compte de sa part de responsabilité qui se chiffre donc à 5%, la société requérante se voit donc allouer une indemnité pour manque à gagner de 353 999,84 euros. Enfin, il sera remarqué que la cour rejette la demande de la société requérante portant sur les « frais de siège » non amortis « dont il n'est pas démontré qu'ils seraient directement liés à la seule exécution du marché en litige ». 

Ce qu'il faut retenir

1.
Les manquements contractuels du titulaire qui ne sont pas assez graves pour justifier une résiliation pour faute peuvent être pris en compte pour amoindrir sa demande indemnitaire 
2.
Le calcul de l’indemnité due au prestataire « victime » d’une résiliation abusive ne peut pas être effectué en prenant en compte un pourcentage de 5% prévu par les CCAG pour les seules résiliations pour motif d’intérêt général

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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