Le refus motivé du titulaire du marché à la demande de paiement du sous-traitant permet au maître d’ouvrage de refuser de payer le sous-traitant
Conseil d'État, 17-10-2023, n°469071 , SIEL Territoire de Loire
En l’espèce, le syndicat intercommunal d’énergies du département de la Loire (dit « SIEL Territoire d’énergie Loire ») a confié les lots nos 16 et 17 d’un marché public de travaux portant sur le réseau de desserte en fibre optique au groupement d’entreprises solidaires composé des sociétés Serpollet, Serpollet.com et SERP. La société SERP a sous-traité la réalisation de prestations portant sur des points de mutualisation à la société NGE Internet, anciennement AEGE Réseaux. Le SIEL Territoire d’énergie Loire a accepté ce sous-traitant et agréé ses conditions de paiement pour les prestations envisagées.
La société NGE Internet a adressé une demande de paiement direct au groupement d’entreprises solidaires au titre des prestations effectuées par un courrier du 7 mai 2018. La société SERP a manifesté son opposition expresse et motivée à ce paiement, par un courrier du 18 mai 2018 adressé au SIEL et à la société NGE Internet. Cette dernière a alors sollicité le SIEL, maitre de l’ouvrage, afin qu’il procède au paiement de ces sommes, laquelle a été refusée.
La société NGE Internet a saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande tendant à la condamnation du SIEL à lui verser les sommes réclamées au titre des travaux portant sur les points de mutualisation. Rejetée en 1ère instance, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon fait partiellement droit à cette demande. Le SIEL se pourvoit alors en cassation contre cet arrêt.
Aux termes des articles 6 et 8 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et de l’article 116 du Code des marchés publics, tous codifiés aux articles R. 2193-11 et suivants du Code de la commande publique, le droit au paiement direct du sous-traitant doit respecter un certain nombre de règles procédurales.
Ainsi, à l’achèvement des prestations qu’il a effectuées, le sous-traitant doit adresser une demande de paiement direct au titulaire du marché. Le titulaire dispose d’un droit d’opposition lui permettant alors soit d’accepter, soit d’opposer un refus motivé à cette demande dans un délai de quinze jours à compter de la réception de celle-ci. Le silence gardé au cours de ce délai vaut acceptation tacite de la demande, principe confirmé par une décision du Conseil d’État datée du même jour (Conseil d’État, 17 octobre 2023, n°465913). Qu’elle soit expresse ou tacite, toute acceptation ouvre droit au paiement direct du sous-traitant par le maitre de l’ouvrage.
L’enjeu de cette décision est de déterminer quelles sont les conséquences pour le maitre de l’ouvrage en cas de refus motivé opposé par le titulaire du marché à la demande de paiement. Les juges suprêmes précisent alors que « cette procédure a pour objet de permettre au titulaire du marché d'exercer un contrôle sur les pièces transmises par le sous-traitant et de s'opposer, le cas échéant, au paiement direct. Le refus motivé du titulaire du marché d'accepter la demande de paiement direct du sous-traitant, notifié dans le délai de quinze jours à compter de sa réception, fait également obstacle à ce que le sous-traitant puisse se prévaloir, auprès du maître d'ouvrage, d'un droit à ce paiement ».
Ce considérant est fondamental. Le maitre de l’ouvrage est en situation de compétence liée pour refuser le paiement direct du sous-traitant accepté lorsque le titulaire s’y oppose. Dès lors, l’opposition du titulaire du marché suffit à ce que le droit au paiement direct du sous-traitant ne soit pas constitué. Le maitre de l’ouvrage est, en pareil cas, fondé à refuser le paiement direct.
Cette position du Conseil d’État s’inscrit dans l’esprit même de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. Le législateur reconnait une relation contractuelle entre le titulaire du marché et le sous-traitant. En d’autres termes, le sous-traitant n’a d’obligation qu’envers le titulaire du marché. Par ailleurs, lorsque le sous-traitant adresse une demande de paiement, le titulaire du marché dispose d’un droit à opposition. Comme le dit le rapporteur public, Nicolas LEBRUNE, dans ses conclusions, le titulaire du marché a un « véritable droit de véto sur le paiement direct ». Dès lors, le maitre de l’ouvrage n’a pas à contrôler le bien-fondé de l’opposition du titulaire mais seulement de contrôler son caractère motivé.
En l’espèce, par un courrier du 18 mai 2018, la société SERP, titulaire du marché, a manifesté son opposition expresse et motivée à la demande de paiement de la société NGE Internet, sous-traitante, du 7 mai 2018. Le titulaire du marché a donc usé de son droit d’opposition dans les délais impartis, soit un délai de quinze jours. Le SIEL Territoire de Loire était alors en droit, pour ne pas dire tenu, de refuser de procéder au paiement direct du sous-traitant pour ce seul motif. La Cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en affirmant que le refus opposé par le titulaire du marché ne faisait pas obstacle à ce que le sous-traitant se prévale de son droit au paiement direct auprès du maitre de l’ouvrage.
C’est donc à bon droit que le tribunal administratif de Lyon a rejeté la requête introduite par la société NGE Internet.
Ce qu'il faut retenir