Le maître d’œuvre commet une erreur de conception en négligeant d'attirer l'attention du maître d'ouvrage sur la nécessité de commander et de financer les études géotechnique

CAA Lyon, 03-04-2025, 23LY01584 , Société SIOAH

La complétude des études géotechniques est un « classique » des contentieux opposant les maîtres d’ouvrage, entrepreneurs et maîtres d’œuvre. L’arrêt rendu par la cour administrative de Lyon du 3 avril 2025 en fournit une belle illustration. 

Pour équiper les quais de la commune d'Andance (département de l’Ardèche) d'un dispositif permettant aux bateaux de plaisance de s'amarrer sur les rives du Rhône, la communauté de communes « Porte de Drôme Ardèche » a entrepris l'implantation de deux ducs en bordure du perré. La société SIOAH a été chargée de la mission de maîtrise d'œuvre. La réalisation des travaux a, quant-a-elle, été confiée à la société Maïa Fondations. Une première tentative d'enfoncement par vibro-fonçage des tubes formant le duc au pied du perré ayant échoué, la communauté de communes a demandé une nouvelle solution technique à l'entreprise, laquelle a proposé de réaliser des pré-trous avec un marteau avant fonçage des tubes, solution qui a donné lieu à la conclusion d'un avenant. A la suite de l'implantation du premier duc selon cette seconde méthode, la communauté de communes a constaté qu'une cavité s'était formée sous le perré provoquant un fort risque d'effondrement du quai. Le second duc n'a pas pu être implanté. Il doit être précisé que l’importance du sinistre a conduit la collectivité à ne pas réceptionner les travaux. 

A la suite d’une expertise judiciaire sollicitée par la société Maïa Fondation, la communauté de communes « Porte de Drôme Ardèche » a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la SIOAH et la société Maïa Fondations à lui verser, solidairement ou conjointement, les sommes de 161 997,26 euros HT en réparation du préjudice matériel résultant des dommages occasionnés au perré et au quai et 7 500 euros en réparation du préjudice de jouissance. Elle a en outre sollicité la condamnation de la société Maïa Fondations au paiement de pénalités de retard.

Par jugement du 9 mars 2023, le tribunal a condamné in solidum la société Maïa Fondations et la SIOAH à verser à la communauté de communes « Porte de Drôme Ardèche » la somme de 133 183,20 euros HT, a condamné la société Maïa Fondations et la SIOAH à se garantir mutuellement de la moitié de la condamnation prononcée à leur encontre, et a condamné la société Maïa Fondations à verser à la collectivité la somme de 43 907,16 euros au titre des pénalités contractuelles. 

La société SIOAH a fait appel de ce jugement en soutenant qu’elle n’avait commis aucune faute de conception dès lors que la communauté de communes n’avait réalisé ni lui avait fourni aucune étude géotechnique portant sur le site et qu’elle n’avait commis aucune faute d’exécution dès lors que la société Maïa Fondations était seule chargée de la réalisation des travaux. Sur le premier point, le CCTP précisait explicitement qu’il « n'a été réalisé aucun sondage géotechnique dans le cadre du présent marché. / Les études de projet concernant le présent marché ont été réalisées à partir des données géotechniques ayant permis la réalisation des ducs existants implantés à proximité des deux futurs ducs ".

La cour va écarter ce double argumentaire tout en réduisant sensiblement le montant de l’indemnité allouée à la collectivité. 

Concernant la problématique liée à la conception de l’ouvrage, la cour va rappeler que la SIOAH « a été chargée, non seulement des missions d'assistance au maître de l'ouvrage pour la passation des contrats de travaux, des études d'exécution et de la direction de l'exécution, mais également d'une étude de faisabilité (…) et d'une mission d'avant-projet comportant l'analyse des données disponibles de façon à déterminer les contraintes techniques liées au site et au Rhône et l'étude de solutions à déterminer en fonction de ces contraintes techniques ». La cour poursuit en indiquant que la société SIOAH « s'est abstenue de s'assurer de la nature du milieu d'implantation des ducs et des contraintes liées à ce dernier et, notamment, de l'existence d'enrochements faisant obstacle à l'enfoncement des tubes. Elle s'est en outre abstenue, alors qu'elle en avait la charge, de conseiller au maître de l'ouvrage d'effectuer des recherches complémentaires afin de s'assurer de la faisabilité de l'option de fonçage simple. Enfin, elle a négligé d'avertir le maître de l'ouvrage des risques que comportait la solution du vibro-fonçage envisagée par l'entreprise après l'échec de la première tentative d'implantation et des précautions à prendre pour éviter de détériorer le perré, alors que son attention avait été attirée sur la fragilité du perré ».

Par conséquent, pour la cour, « la SIOAH n'est pas fondée à soutenir qu'aucune faute ne saurait lui être reprochée dans l'exercice de ses missions de conception de maîtrise d'œuvre ». 

Pour tenter de limiter sa responsabilité, la maîtrise d’œuvre a essayé d’invoquer la méconnaissance par la communauté de communes de la norme NF P 94-500 qui encadre les études géotechniques qui doivent être exécutées lors de la réalisation d’un projet. Cette norme précise, ainsi, qu’en cours de projet, quatre missions successives géotechniques (G1 à G4) doivent être réalisées, trois pour le compte du maître d’ouvrage (G1,G2 et G4) et une pour le compte de l’entreprise (G3). Les missions G1, G2, G3 et G4 doivent s’enchaîner et doivent donc toutes être réalisées (article 4.2 de la norme). Toujours, selon cette norme, le maître d’ouvrage doit s’assurer de la réalisation de ces quatre missions géotechniques. L’article 4.2.4 de la norme précise, ainsi, que « le maître d’ouvrage (…) doit faire réaliser successivement chacune de ces missions par une ingénierie géotechnique ».

En utilisant ces articles de la norme, l’équipe de maîtrise d’œuvre soutenait que la collectivité était responsable du sinistre puisqu’elle n’avait fourni aucune étude géotechnique portant sur le site. La cour va fortement relativiser la portée de cet argument, et c’est le principal intérêt de cet arrêt. La cour considère, en effet, en abordant une lecture littérale de la norme, que la collectivité n’a pas l’obligation de fournir en début de projet les études géotechniques préalables. La cour juge, ainsi, que la « norme (…) se borne à prévoir que les études géotechniques préalables doivent être financièrement prises en charge par le maître de l'ouvrage ». Dès lors, toujours selon la cour, « la norme n'exonère pas le maître d'œuvre de sa mission qui implique, notamment, qu'il conseille, en tant que de besoin, au maître de l'ouvrage d'effectuer de telles études préalables ».

La cour en arrive à la conclusion que le maître d’œuvre commet une erreur de conception en négligeant d'attirer l'attention du maître d'ouvrage sur la nécessité de commander et de financer les études géotechniques. La cour, tout comme le tribunal, considère simplement que le maître d’ouvrage doit, du fait de son « imprudence », simplement assumer une part de responsabilité qui est limitée à 10% du préjudice subi.

Concernant, ensuite, le montant de l’indemnité à allouer au maître de l’ouvrage, la cour rappelle le principe d’indemnisation qui trouve à s’appliquer dans une telle situation, à savoir que « la faute résultant de l'inexécution par le titulaire de ses obligations contractuelles ouvre droit pour le maître de l'ouvrage à l'indemnisation de l'ensemble des travaux nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme aux prévisions du marché ».

Appliqué au cas d’espèce, la cour va « valider » le préjudice subi par la collectivité sur les postes suivants : installation des clôtures de protection délimitant la zone surplombant le perré, qui menaçait de s'effondrer (767,20 euros HT) ; réalisation d’une inspection subaquatique du perré (7 831 euros HT) ; réalisation d’une campagne de détection de cavités souterraines (3 200 euros HT), réalisation d’une mission de maîtrise d'œuvre d'exécution (9 100 euros HT) ; travaux de réparation des cavités sous le perré (62 513 euros HT). La cour refuse d’intégrer dans l’indemnisation les frais de constat d'huissier dont la nécessité n'est pas établie, le poste de finalisation de travaux relatif à la pose du second duc lequel aurait dû être assumé par le maître d'ouvrage au titre de l'exécution du marché et le préjudice de jouissance qui n'est pas établi. Dans ces conditions, le montant du préjudice subi par la communauté de communes se limite pour la cour à 81 011,20 euros HT.

« Eu égard à l'importance des manquements constatés dans l'accomplissement de ses obligations, tant dans sa mission de conception de l'ouvrage et de suivi des travaux que dans celle de conseil auprès du maître de l'ouvrage », la cour considère que la part de responsabilité de la maîtrise d’œuvre dans la survenance du sinistre doit être de 50% ; la société Maïa Fondations assumant également 50% de responsabilité.

Ce qu'il faut retenir

1.
En sa qualité de maître d’ouvrage, la collectivité doit simplement financer les études géotechniques imposées par la norme NF P 94-500 
2.
Le maître d’œuvre commet une erreur de conception en négligeant d'attirer l'attention du maître d'ouvrage sur la nécessité de commander et de financer les études géotechniques

À propos de l'auteur

Antoine Alonso Garcia

Inscrit au Barreau de Paris depuis 1999, j'ai créé ma propre structure en 2007.

J’interviens essentiellement dans la conduite de projets publics, tant pour les maîtres d’ouvrage publics (gestion de la passation et de l’exécution des contrats) que pour les entreprises (réponse à appels d’offres, gestion des litiges d’exécution). Cette pratique intensive des projets publics m’a naturellement amené à développer une compétence en matière en droit de la construction (publique et privée) et en droit des assurances.

Maître de conférences pour le cours de droit de l’Ecole des Ponts et Chaussées, j'anime aussi de nombreuses formations en droit de la commande publique et en droit de la responsabilité administrative.

J'ai obtenu en 2020 la mention de spécialisation en droit public

J'ai créé en 2023 le Cabinet CORAL Avocats.


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