Intéressante décision de la cour administrative d’appel de Toulouse qui rappelle qu’un acheteur peut déclarer sans suite une procédure de passation d’un marché public s’il constate que la procédure est entachée d’une irrégularité juridique qui l’empêche d’attribuer le marché à l’attributaire pressenti. Cette décision est d’autant plus intéressante que la décision de déclaration sans suite n’a pas été contestée par l’attributaire pressenti, mais par le candidat classé en seconde position. Ce dernier a, ainsi, développé une stratégie que l’on peut qualifier de futée consistant à soutenir que l’acheteur ne pouvait pas déclarer sans suite la procédure, mais qu’il aurait dû rejeter l’offre de l’attributaire pressenti car cette attribution était irrégulière en raison d’un vice imputable à cette offre et attribuer en conséquence le marché à l’offre classée en seconde position.
Le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Toulouse vont rejeter cet argumentaire et considérer qu’il n’existe pas de « droit acquis » pour un candidat à l’attribution d’un marché. L’acheteur dispose toujours du pouvoir de déclarer sans suite la procédure en invoquant un motif d’intérêt général. Et ce motif d’intérêt général peut résulter d’un vice juridique affectant la procédure de mise en concurrence dès lors que cette déclaration sans suite permet à la collectivité d’éviter une contestation contentieuse. Mais attention, ainsi que le démontre cet arrêt, le juge contrôle de manière attentive la réalité et la pertinence du vice d’irrégularité juridique invoqué par la collectivité pour justifier le renoncement de la procédure.
Dans cette espèce un SIVU avait lancé un marché à procédure adaptée pour l'attribution d'un marché de maîtrise d'œuvre de travaux d'armement à flot d’un navire, classé monument historique. Deux candidats se sont manifestés. Après négociation, l'offre de la société M. a été retenue, et celle de la société L. a été rejetée. Par une délibération du 12 février 2021, le SIVU a cependant décidé de déclarer sans suite le marché de maîtrise d'œuvre pour un motif d'intérêt général.
En effet, le SIVU a réalisé, alors qu’il avait décidé d’attribuer le marché de maîtrise d’œuvre à la société L. que cette dernière société s'était vu confier, par ailleurs, une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) du projet de restauration de cette goélette, et ce antérieurement au lancement de la procédure en litige.
Le SIVU a, alors, considéré que cette attribution était entachée d’irrégularité puisque la société L., en sa qualité d’AMO, avait pu disposer d’informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence, en sa faveur, par rapport aux autres candidats. Pour éviter tout risque contentieux, il a donc décidé de déclarer sans suite cette procédure de mise en concurrence.
C’est dans ce cadre que la société M. arrivée en seconde position et ayant déposé une offre régulière a soutenu que l’acheteur ne pouvait pas déclarer sans suite la procédure et devait donc lui attribuer le marché. Elle réclamait au SIVU l’indemnisation du manque à gagner subi qu’elle chiffrait à un montant de 73 470,88 euros. Le tribunal administratif de Montpellier ayant rejeté sa demande, elle a donc saisi la cour administrative d’appel de Toulouse.
Concernant, tout d’abord, la possibilité pour une collectivité de renoncer à mener à son terme une procédure de mise en concurrence, la cour administrative d’appel de Toulouse rappelle que « une personne publique qui a engagé une procédure de passation d'un marché ne saurait être tenue de conclure le contrat. Elle peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d'intérêt général ». La cour reprend, sur ce point, le « considérant de principe » de l’arrêt du Conseil d’Etat (17 septembre 2018, req. n° 407.099). La cour ajoute que « Des motifs d'ordre juridique en lien, notamment, avec la volonté d'éviter une contestation contentieuse peuvent constituer un motif d'intérêt général susceptible de justifier la renonciation à conclure un contrat ».
La cour, après avoir rappelé que la société requérante ne conteste pas la « matérialité de l’irrégularité » commise par le SIVU, considère que la collectivité qui « ne souhaitait pas s'exposer au risque d'un recours contentieux à l'encontre d'une procédure qui était juridiquement contestable, a pu, pour ce motif d'intérêt général, décider de déclarer sans suite la procédure. Dès lors, pour la cour, « le syndicat intercommunal justifie sa décision de renoncer à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général ».
Cette jurisprudence confirme donc qu’un acheteur peut renoncer à la conclusion d’un marché s’il estime que la procédure est affectée d’une irrégularité juridique. Cette solution s’applique lorsque l’irrégularité est « intrinsèque » à la procédure de passation (à titre d’illustration erreur dans la rédaction du DCE ou dans l’analyse des offres), mais également lorsque cette irrégularité découle, comme dans le cas d’espèce, de l’offre déposée par le candidat pressenti. Rien n’oblige donc l’acheteur, dans ces deux cas, à attribuer le marché au candidat le mieux classé. L’acheteur demeure libre de renoncer à l’attribution du marché. Mais, attention, le juge contrôle la réalité de l’irrégularité juridique invoquée par l’acheteur public. On peut, dans ce cas, se retrouver dans une situation particulière où l’acheteur doit justifier devant le juge l’existence d’une irrégularité juridique qu’il a commise.