La prescription quinquennale court à compter du jour de la manifestation du dommage et non du dépôt du rapport d’expertise
Par cette décision du 10 juin 2022, le Conseil d’État rappelle que la prescription court à compter du jour de la manifestation du dommage et non de celui du dépôt du rapport d’expertise.
En l’espèce, une commune a confié à un groupement conjoint une mission de maîtrise d’œuvre relative à la réalisation de l’aménagement d’une place et d’une halle de marché en 2007. Le 18 novembre 2009, la commune a procédé à la réception des travaux avec réserves, qui ont été levées le 10 septembre 2010. Des dysfonctionnements ont néanmoins été constatés par la suite. Après la remise du rapport d’expertise le 18 mai 2016, la commune a saisi le juge d’un recours indemnitaire. Le Tribunal administratif de Marseille a condamné solidairement les deux sociétés membres du groupement conjoint à indemniser la commune. La Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé la responsabilité du groupement conjoint, en jugeant que la commune ne pouvait se fonder sur la garantie décennale des constructeurs pour obtenir réparation des désordres affectant l’ouvrage, mais qu’elle pouvait se fonder sur la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil, car l’action n’était pas prescrite.
Pour annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel, le Conseil d’État rappelle qu’en vertu de l’article 2224 du code civil, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
Il résulte de sa jurisprudence que « la prescription [instituée par l’article 2224 du code civil] court à compter de la manifestation du dommage, c'est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé. »
(CE, 20 nov. 2020, Société Suez Eau France, n°427250).
En l’espèce, la commune avait émis des réserves en 2010, ce que la Cour a relevé en considérant que « le maître de l’ouvrage ne pouvait ignorer les désordres affectant le système de chauffage et de climatisation avant la levée définitive et totale des réserves ».
Les juges du Palais-Royal estiment donc que la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en retenant comme point de départ de la prescription le jour du dépôt du rapport d’expertise, soit le jour de l’identification de l’origine des désordres affectant l’ouvrage, et non pas le jour de la manifestation du dommage.
Néanmoins, cette solution ne signifie pas que la prescription de l’action en réparation introduite par le maître d’ouvrage est acquise dès lors qu’un délai de cinq ans s’est écoulé à compter du prononcé de la réception avec réserves.
En effet, en vertu d’une lecture combinée des articles 2239 et 2241 du code civil, lorsque le juge des référés est saisi d’une demande d’expertise, le délai de prescription est :
- - Interrompu à compter de la saisine du juge de la demande d’expertise. Le délai recommence alors à courir à compter de l’acte interruptif ;
- - Suspendu pendant le temps de la mesure d’expertise si le juge fait droit à la demande. Toutefois, la suspension du délai bénéficie uniquement à la partie qui a demandé l’expertise (M. LE CORRE, conclusions sous CE, 20 nov. 2020, Société Veolia eau- Compagnie générale des eaux, n°432678).